Les intervalles diatoniques (et les autres..)

L’harmonie est fondée sur un certain nombre d’intervalles bien définis mais ne correspondant qu’approximativement à des multiples de demi-tons. La Table 1 ci-dessous résume les intervalles essentiels (qui forment les gammes majeures et mineures): chaque intervalle est défini par un rapport rationnel (colonne Rapport) entre la fréquence la plus aiguë et la plus grave. Ce rapport peut être approximé par un nombre entier de demi-tons (colonne Chromatisme). La différence (4e colonne) entre la définition exacte (rationnelle) et l’approximation chromatique est: $r-2^{n/12}$ où $n$ est le nombre de demi-tons et $r$ le rapport exact. On exprime souvent cette différence sur une échelle logarithmique de 100 cents par demi-ton (dernière colonne: $\delta c=100\cdot(12\cdot\log_2(r)-n)$).

IntervalleRapportChromatismeDifférenceCents
Seconde min.16/1510.007204 11.731290
Seconde maj.9/820.0025383.910002
Tierce min.6/530.01079315.641287
Tierce maj.5/44-0.009921-13.686286
Quarte j.4/35-0.001507-1.955001
Quarte augm.7/56-0.014213-17.487810
Quinte j.3/270.0016931.955001
Sixte min.8/580.01259913.686286
Sixte maj.5/39-0.015126-15.641287
(Septième min. basse)7/410-0.031797-31.174090
Septième min.9/5100.01820317.596288
(Septième min. temp.)16/910-0.004020$-3.910002
Septième maj.15/811-0.012749-11.731285
Octave21200
Table 1: Définition des intervalles purs

Pour illustration, si l’on fixe le la à 440 [Hz], alors les fréquences des notes autour de ce la sont indiquées dans la Table 2, accordées selon le rapport exact de l’intervalle correspondant (colonne Naturel) où selon l’échelle des demi-tons (colonne Tempéré).

NoteNaturelTempéré
do264261.626
297293.665
mi♭316.8311.127
mi♮330329.628
fa352349.228
sol396391.995
la♭422.4415.305
la♮440440
si♭475.2466.164
si♮495493.883
do528523.251
Table 2: Fréquences des notes accordées sur un la à 440 [Hz]

Mémoriser les intervalles

Une méthode recommandée pour faciliter la mémorisation des intervalles consiste à associer à chaque intervalle une mélodie connue. Voici ma liste personnelle, qui dit certainement quelque chose sur mes goûts musicaux:

  • 2m:
    • Dvorak, Symphonie du nouveau monde (ascendant)
    • Mozart, Symphonie no 40 (descendant)
    • Beethoven, Lettre à Elise (descendant)
  • 2M:
    • My funny valentine (ascendant)
    • Moussorgski, Tableaux d’une exposition: promenade (descendant)
  • 3m:
    • Brahms, Wiegenlied (Berceuse) (ascendant)
    • Girl from Ipanema (descendant)
  • 3M:
    • Vivaldi, les 4 saisons (ascendant)
    • Beethoven, Symphonie no 5 (descendant)
  • 4j:
    • All the things you are (ascendant)
    • Bizet, L’Arlésienne (descendant)
  • 4+:
    • Bernstein, West Side Story (Maria) (ascendant)
  • 5j:
    • Dukas, L’apprenti sorcier (ascendant)
    • Bizet, Carmen (L’amour est enfant…) (descendant)
  • 6m:
    • Manha de Carnaval (ascendant)
    • Tchaïkovski, Symphonie no 5 (descendant)
  • 6M:
    • Take the “A” train (ascendant)
    • Chopin, Nocturne Op. 9 no 2 (ascendant)
    • C. Adderley, You’re a weaver of dreams (descendant)
  • 7m:
    • Bernstein, West Side Story (Somewhere) (ascendant)
    • Gershwin, An american in Paris (descendant)
  • 7M:
    • Moussorgski, Tableaux d’une exposition: Baba-Yaga (descendant)

La gamme chromatique

J’aimerais examiner en détail la construction de la gamme chromatique et les problèmes d’intonation qu’elle pose, à l’aide de la représentation ci-dessous.

Figure 1: La gamme chromatique et le problème de l’intonation. L’échelle horizontale représente les fréquences espacées logarithmiquement, l’échelle verticale la consonance relative au do (les plus petits dénominateurs sont en haut de l’échelle). Les bandes grises représentent $\pm 15$ cents autour des notes tempérées. Les lignes noires verticales sont tous les rapport rationnels de dénominateur inférieur à $19$.

Les 12 demi-tons divisent l’octave en 12 intervalles égaux sur une échelle logarithmique (axe horizontal de la figure). Comme illustration, je prends une fréquence arbitraire que j’appelle do$_0$ et les fréquences successives $2^{1/12}$ plus élevées (environ 6%) jusqu’à la fréquence double: le do$_1$ à l’octave. Les zones grises autour de chaque demi-ton représentent un écart de ±15 cents: ce sont les notes “accessibles” (pour les instruments à cordes, à vent, les chanteurs, etc.). Chaque ligne noire verticale indique un intervalle consonant par rapport au do$_0$ grave: plus la ligne monte haut plus l’intervalle est consonant (l’axe vertical représente le dénominateur du rapport des fréquences). Les intervalles “justes” sont indiqués par les tirets bleus. Les harmoniques de do sont indiquées par des tirets rouges (plus petits si la fondamentale correspondante est plus grave).

Par exemple, la quinte (sol) chromatique (tempérée) est à la fréquence $2^{7/12}\approx 1.4983$, ce qui est très proche de la quinte juste (rapport de $3/2=1.5$) qui est aussi une harmonique du do$_{-1}$ une octave plus bas. On constate qu’il n’y a aucun autre intervalle consonant dans le voisinage de ce sol et que ce rapport de $3/2$ est le plus consonant de tous. On en déduit que la quinte est non ambiguë (facile à chanter) et consonante (dans un rapport de fréquences très simple).

Première remarque générale: les harmoniques (rouge) ne tombent pas toujours sur des intervalles justes (bleu). Il y a bien un rapport entre série harmonique et impression de consonance, mais ces harmoniques ne fournissent pas les notes de la gamme de manière directe. Observez en particulier la quarte juste (fa): c’est un intervalle non ambigu et consonant mais il ne se trouve pas dans la série harmonique (sauf bien sûr comme complémentaire de la quinte juste: intervalle du sol au do dans la série harmonique de do).

Examinons maintenant quelques situation musicalement instructives: la tierce majeure (mi) est proche de deux intervalles consonants: $5/4$ qui est nettement plus bas ($13.69$ cents) et $19/15$ ($9.24$ cents plus haut). On en déduit que la tierce majeure sonne mal sur un clavier (car l’intervalle tempéré est loin des intervalles justes), elle est très consonante (dénominateur $4$) mais légèrement ambiguë (difficile à accéder et en conflit avec un autre intervalle moins consonant: dénominateur $15$). A l’autre extrémité, la seconde mineure (do#) n’a que des intervalles peu consonants à proximité (dénominateurs plus grands que $15$). Le rôle de cet intervalle dans la gamme est purement mélodique (par symétrie) et non harmonique. Un autre cas intéressant est celui de la sixte majeure: la (fréquence $2^{9/12}\approx 1.68$) qui peut être considérée comme proche du rapport $5/3$, mais l’écart est de $15.64$ cents, ce qui est à la limite de l’atteignable selon les instruments. Encore plus problématique est la septième mineure la# ($2^{10/12}\approx 1.78$) qui est proche de plusieurs intervalles plutôt consonants: $9/5,16/9,23/13,25/14$, mais le meilleur ($9/5$) est aussi le plus éloigné ($17.60$ cents). Il y a donc une forte ambiguïté sur cette note, ce qui signifie que le musicien aura des difficultés à trouver l’intervalle juste et sera attiré par des intervalles moins harmoniques, mais plus proches.

Pour illustrer ces difficultés voici quelques intervalles mentionnés ci-dessus:

Tierce majeure
  • tempérée (1.25992…):
  • juste (5/4):
Sixte majeure
  • tempérée (1.681879…)
  • haute (22/13)
  • juste (5/3)
Septième mineure
  • tempérée (1.78179…):
  • haute (9/5):
  • basse (7/4):
  • juste (16/9):

La musique vue par un physicien théoricien

Cela fait 40 ans que je pratique la musique (avec quelques interruptions) et 25 ans que je suis physicien, et donc que j’essaie de comprendre la musique avec les outils de ma profession. Cela n’a jamais été mon sujet de recherche, seulement une distraction intermittente et occasionnelle. Ce blog est né dans l’envie de structurer ces réflexions, de tenter de les relier entre elles et de leur trouver une cohérence.

Le choix du format blog offre la possibilité d’écrire les chapitres dans le désordre et de laisser l’ensemble grandir un peu aléatoirement. Chaque fois qu’un nouveau chapitre paraîtra, les précédents seront mis à jour pour le relier entre eux.

Je classerai mes billets en plusieurs catégories non-exclusives, telles que mathématiques et algorithmes (qu’est-ce que l’intonation, comment construire un son numérique, etc.), physique (comment les instruments sont-ils conçus, pourquoi la température change l’accordage, etc.) et biologique (pourquoi entend-on les harmoniques, la musique est-elle le résultat d’une sélection évolutive).

Tout ce que j’écris ici est déjà connu et se trouve dans la littérature, mais parfois de manière (à mon avis) confuse, ou pas suffisamment illustrée à mon goût. Dans certain cas, la littérature peut même être contradictoire et je ferai parfois des commentaires à ce sujet.