Les gammes et l’intonation

La musique est presque toujours construite en combinant deux principes esthétiques: l’harmonie de notes simultanées dont les fréquences sont reliés par des fractions simples et la mélodie composée de notes successives formant des motifs faciles à mémoriser et à reproduire (par les voix et les instruments). Les symétries de ces motifs jouent un rôle important dans notre capacité à les reproduire. Construire une gamme qui est à la fois harmonique et mélodique est fondamentalement impossible, et les gammes traditionnelles représentent donc différents compromis avec des symétries partielles et des harmonies imparfaites. A chaque style musical son lot de contradictions.

Il faut d’abord préciser qu’il y a deux types de gammes: l’ensemble fixe des notes possibles (en occident: la gamme chromatique) et les nombreux sous-ensembles qui constituent les gammes admissibles (par exemple les gammes majeures dans tous les tons). Ces deux types de gammes sont le résultat de choix plutôt arbitraires (ou de compromis pas forcément conscients), le premier détermine surtout comment on fabrique les instruments et comment on note la musique, tandis que le second dicte les règles de composition musicale.

Toutefois, ces gammes formelles ne déterminent pas entièrement comment on joue la musique. Les chanteurs et la plupart des musiciens (sauf, par exemple, les claviers) peuvent modifier la hauteur de la note pendant qu’ils la jouent: c’est le concept d’intonation, où l’art de décaler légèrement une note vers le haut ou le bas, au moment où on la joue ou la chante, différemment pour chaque note successive. En d’autre termes, une note écrite (ou nommée) définit en réalité un petit intervalle de fréquences, et quelle fréquence exacte sera jouée dépend du contexte harmonique et mélodique, des compétences du musicien, de conventions culturelles, et, finalement, de l’interprétation.

On ne parle pas ici du processus d’accordage de l’instrument, qui consiste à choisir une référence fixe, le diapason, (par exemple la$=440$ [Hz]) et ajuster des parties mobiles de l’instrument pour satisfaire cette convention. Ce choix détermine en théorie les fréquences de toutes les autres notes selon une échelle préétablie (par exemple la gamme chromatique tempérée). Toutes les considérations de cette section sont indépendantes du choix du diapason. Par exemple un diapason la$=415$ [Hz] (utilisé aujourd’hui pour la musique baroque) et la$=465$ [Hz] (apparemment en usage à Venise au XVIIe siècle) sont presque un demi-ton plus bas (resp. plus haut) que $440$ [Hz] (voir cette table), et modifient donc la tonalité perçue (ou le nom des notes), mais ne doivent pas affecter les notions de gamme et d’harmonie et le problème de l’intonation reste le même.

La notation dans la suite de cette section sera comme suit: une gamme est un ensemble fini de fréquences $\{f_0,\dots,f_{n-1}\}$ choisies parmi un ensemble préétabli (par exemple les $12$ demi-tons, d’autres possibilités seront parfois mentionnées). La valeur de $f_0$ est sans conséquence (c’est-à-dire qu’aucune considération future ne doit en dépendre), et nous choisirons donc $f_0=1$: toutes les fréquences sont exprimées en multiples de la tonique que nous appellerons, par convention, do.

La gamme est ordonnée et contenue dans une seule octave: $ 1<f_k<f_\ell<2$ pour $k<\ell\in\{1,\dots,n-1\}$.